Les proliférations tumorales constatées à l'intérieur des bronches donnent lieu à des discussions nombreuses car leur classification n'est pas encore réalisée d'une façon catégorique; et même pour chaque cas il peut être malaisé d'en définir exactement les caractéres de malígnité ou de bénignité.
Certaines de ces tumeurs bronchiques qui n'ont pas les évolutions cliniques habituelles des cancers bronchiques ont été reconnues et séparées des cancers bronchiques par Chevalier-Jackson qui les a appelées "adénomes". Depuis, ces tumeurs ont reçudes appellations variées dont aucune ne parait satisfaire entièrement. Ce sont cependant de véritables épithéliomas dont l'origine glandulaire est toujours manifeste; mais leurs caractères cliniques et cytologiques paraissent assez particuliers.
Cette étude porte sur 52 tumeurs bronchiques du type "adénome de Jackson"; leur étudé clinique et microscopique, les essais thérapeutiques réalisés, sont l'objet de ce travail.
On doit les distinguer três nettement des vraies tumeurs bénignes; j'ai pu observer 2 cas de lipomes, 2 cas de dysembryomes et 1 cas d'angio-léio-myome de bénignité toute relative.
Il semblerait qu'on puisse ali contraire les rapprocher de certains épithéliomas bronchiques malins dont l'origine glandulaire parait ali moins três fréquente; leur pàrcentage par rapport aux vrais cancers bronchiques doit être de l'ordre de 2 à 3%.
Les faits cliniques constatés pour les 52 malades sont analogues à ceux qui ont été donnés dàns diverses publications sur ce sujet.
Les tumeurs sont plus fréquentes chez la femme que chez l'homme, mais sans apanage absolu puisqu'il s'agit de 33 femmes et 19 hommes.
L'âge du début clinique apparent de la tumeur est un âge beaucoup plus précoce que celui des autres épithéliomas bronchiques. L'âge moyen de début clinique est en effet de 25 ans 3/4 avec des extrêmes allant de 3 ans à 48 ans.
Il s'en faut de beaucoup que le diagnostic anatomique de la maladie ait été réalisé précocément puisque, pour l'ensemble des 52 cas, il s'est écoulé en moyenne 4 ans 3/4 entre le début clinique apparent et le monient oú le diagnostic a été réalisé par biopsie endobronchique. Le cas le plus précocément dépisté l'a été au bout d'un mois seulement; mais une fois la maladie n'a été caractérisée qu'au bout de 17 ans. Cette longue évolution fréquente avant le diagnostic est déjà un élément três important en faveur de ces sortes de tumeurs, quand on les observe par endoscopie. Cette notion clinique et le jeune âge habituel des malades ont une grande valeur et doivent être pris en considération pour aider au diagnostic microscopique.
DEBUTS CLINIQUES: Les troubles fonctionnels qui marquent le début de ces tumeurs sont de deux ordres: d'une part les hémoptysies qui caractérisent souvent la fragilité vasculaire de la tumeur elle-même, d'autre part des poussées fébriles et expectorastes qui sont en rapport avec l'obstruction bronchique provoquée par la tumeur obturant plus ou moins complètement une grosse bronche, marquant ainsi les troubles physiopathologiques secondaires de l'obstruction bronchique (P. Ameuille et J. M. Lemoine: Etudes de Pathologie Bronchique - Lisbonne (1948).
- Les hémoptysies isolées ont marqué le début de 13 de nos cas.
- Les poussées fébríles et expectorantes, non hémoptoïques, ont été lés troubles du début de 21 autres cas.
- Pour 13 autres malades, les troubles ont été d'emblée à la fois hémoptysies et poussées fébriles expectorantes, marquant ainsi l'association initiale des troubles dús à la tumeur elle-mênie et à sa complication broncho-pulmonaire.
- Dans les 5 derniers cas, des troubles très variés ont marqué le début clinique de la maladie, troubles allant de la pneumonie franche lobaire aiguë à des accès banaux de toux, à des manifestations générales non respiratoires, et mênie à l'absence de toute anomalie et à la simple découverte par dépistage radiologique systématique.
On reniarquera que le plus souvent les troubles qui marquent le début de ces tumeurs bronchiques sont importants et que malgré cela il a fallu un temps souvent prolongé pour arriver au diagnostic exact de la maladie. C'est que, une fois l'épisode initial terminé, le malade récupère rapidement et complèment un état de santé parfait et qu'il s'écoule quelquefois des mois avant que ne reparaissent des troubles qui inquiètent le malade et le médecin. Ce dernier, constatant qu'il ne s'agit pas de tuberculose et que l'état de guérison est obtenu rapidement avec l'aide souvent des antibiotiques, ne pense pas à demander des examens plus approfondis.
RADIOLOGIE: Cependant l'examen radiologique montre à une période précoce et d'une façon três féquente des signes en faveur d'une obstruction bronchique. C'est ainsi que 38 de nos malades ont présenté presque d'emblée des opacités pulmonaires ordonnées rarement de tout un pournon, presque toujours d'un lobe pulmonaire. Ces opacités homogènes représentaient un ou plusieurs lobes rétractés accompagnés ou non de déplacement compensateur des organes voisins.
Pour les 14 autres cas, il s'est agi 4 fois d'opacités hilaires irrégulières, 4 fois d'opacité pulmonaire non homogène, 1 fois d'opacité arrondie paraissant intra-pulmonaire, 3 fois il existait des cavités, souvent avec niveau hydroaérique et enfin 5 fois l'image thoracique était strictement normale. Ces 5 cas correspondaient à des obturations bronchiques incomplètes caractérisées 3 par des hémoptysies simples, 2 par des signes de rétention bronchique suppurée. Dans deux de ces cas les tomographies avaient permis de voir la tumeur intra-bronchique dans son entier.
Il s'en faut donc que la tumeur réalise toujours au complet Min syndrôme typique clinique et radiologique d'obstruction bronchique. Cela tient sans doute aux bizarreries de l'obstruction bronchique: pour un obstacle identique les troubles varient beaucoup d'un malade à l'autre et teci est aussi vrai pour les sténoses bronchiques (par rapprochement des parois) que pour les obturations bronchiques (par prolifération à l'intérieur de la lumière bronchique). Une appellation fondée sur cette seule notion d'obstruction bronchique ne leur convient donc pas et ne saurait de plus les différencier des autres tumeurs bronchiques malignes ou non.
Actuellement ces malades suspectés d'obstruction bronchique ou atteints d'hémoptysies non tuberculeuses sont plus facilement qu'autrefois examinés complètement; aprè la radiographie souvent suggestive, on pense plus facilement à faire pratiquer l'endoscopie bronchique révélatrice de la cause des troubles pathologiques.
BRONCHOSCOPIE: Les aspects endoscopiques des tumeurs du type "adénome de jackson" n'ont pas de caractère absolument spécial, et déjà Chevalier-jackson, grâce à ses données endoscopiques, avait montré les aspects variés qu'il avait constatés dans ses 12 premiers cas. Cinq fois la tumeur était ronde, lisse, régulière, de coloration rouge. Dans 4 cas, elle était polylobée, et chaque élément tumoral était lisse et arrondi. Mais dans 3 cas, la tumeur était irrégulière, de coloration variable, allant du jaune au rouge, et assez semblable à de nombreux aspects de tumeurs bronchiques à évolution maligne.
Ces 3 types d'aspects endoscopiques ont été retrouvés chez les 52 malades: 30 fois, c'est l'aspect rond, lisse, régulier caractéristique, assez rarement rencontré dans les tumeurs malignes. - 6 fois on a constaté l'aspect potylobé. Mais 14 fois la tumeur était irrégalière, anfractueuse, recouverte d'éléments bourgeonnants en relief sur la masse tumorale, comparables à de nombreux aspects de cancers bronchiques. Une fois, l'aspect était celui d'infiltration pariétale formant des bourrelets muqueux allongés suivant l'axe bronchique analogue à l'aspect décrit par Pruvost, Delarue et leurs collaborateurs; la tumeur infiltre en coulée les parois sans formes de masse plus ou moins pédiculée obturant la lumière bronchique.
Dans un dernier cas, l'endoscopie montrait une sténose par compression de la bronche intermédiaire, la tumeur volumineuse étant située dans la bronche lobaire moyenne et inabordable par endoscopie.
Un signe endoscopique important est la mobilité bronchique conservée même au niveau de la tumeur; ce signe est pratiquement constant dans nos 52 cas, mais on sait qu'il existe également dans certains cas de tumeurs bronchiques malignes. Cet état de mobilité des bronches ne renseigne pas plus sur l'invasion péribronchique de ces tumeurs, assez souvent en "iceberg".
Ces constatations montrent qu'il existe une majorité de cas oú les signes endoscopiques de ces tumeurs bronchiques sont assez caractéristiques et donnent déjà des éléments de présomption pour les différencier des tumeurs malignes; mais il n'en reste pas moins qu'il ne faut jamais se hâter de conclure sur le seul aspect endoscopique et qu'il faut toujours le contrôle histologique, absolument nécessaire dans tous Ies cas.
HISTOLOGIE: Le diagnostic microscopique a été réalisé 49 fois par biopsie bronchoscopique, 2 fois sur des pièces opératoires et 1 fois par autopsie.
Au point de vue des aspects histologiques, il semble que l'on puisse les classer en 3 groupes principaux:
1.º) les aspects cylindromateux ou tubulés, nettement caractérisés par des formations du type canaliculaire assez bien disposés avec une rangée de cellules régulières, entourant une substance hyaline mucoïde;
2.º) les aspects analogues aux tumeurs mixtes de la parotide constitués d'ilots de cellules petites et régulières dans un stroma fibreux três abondant contenant peu d'éléments cellulaires;
3.º) lés aspects glandulaires typiques formés de cellules en grande majorité régulières dans leurs dimensions et dans leur constitution: le stroma est en abondance variable, soit abondant et peu riche en éléments cellulaires, soit peu abondant entre des boyaux cellulaires assez entassés, soit encore presque absent étant donné l´abondance des cellules tumorales.
Cette distiction histologique parait valable sur les coupes des biopsies obtenues par endoscopie, mais pour la majorité seulement des cas de cette statistique. Pour un nombre important, le 1/3 environ, sur les seules coupes, il paraít exister un certain polymorphisme de ta tumeur, et on peut observer, comme d'autres l'ont remarqué, l'association des différents aspects. Ayant fait pratiquer peu d'exérèses, il n'a pas été possible de savoir si cet aspect polyphorme, déjà visible pour quelques cas sur le fragment biosique, se retrouvait plus fréquemment encore dans la totalité de la masse tumorale, comme cela est presque banal dans les autres épithéliomas bronchiques.
La forme histologique la plus fréquente est de beaucoupl'aspect glandulaire typique retrouvé 39 fois, le plus souvent (24 fois) avec un stroma de moyenne abondance, dessinant des boyaux de cellules cylindriques, bien individualisés, mais ayant une certaíne tendance à la conglomération; 8 fois, le stroma plus important isole des amas cellulaires qui ressemblent un peu aux tumeurs mixtes salivaires, et 7 autres fois, le stroma est peu abondant, l'arrangement cellulaire est moins visible, et dans ces cas l'examen microscopique peut faire hésiter entre le diagnostic a priori si différent de tumeur à petites cellules et celui des tumeurs dites bénignes. Il semble qu'il soit nécessaire d'avoir acquis une certaine habitude de ces tumeurs pour faire le diagnostic dans ces cas, diagnostic qui est plus facile à faire si l'on possède déjà une orientation diagnostiques grâce aux élèments cliniques.
Les aspects tubulés ou cylindromateux sont peu nombreux: 5 cas, dont celui de la tumeur infiltrant les parois de la trachée et des bronches principales.
Les aspects de tumeur mixte sont moins rares : 8 cas, en précisant qu'il s'agit toujours de 'aspect prédominant sur les coupes histologiques des biopsies.
On s'est efforcé de savoir si à chacun de ces groupes histologiques correspondaient des caactères cliniques, radiologiques ou endoscopiqués particuliers; pour chacune de ces divisions histologiques, on retrouve le même polymorphisme clinique, radiologique et endoscopique. Seuls les aspects cylindromateux nous ont paru correspondre pent-être à une évolution récidivante. De plus, il est apparu que certaines tumeurs, surtout par leurs caractères cytologiques (gros noyaux, irréguliers, acidophiles mais avec peu de mitoses) pourraient peut-être représenter des formes de transition avec des tumeurs malignes. Ces faits nécessitent une confrontation anatomoclinique de longue observation, actuellement en cours.
TRAITEMENT : Les effets de la thérapeutique que nous avons utilisée, en continuant les travaux de Chevalier-Jackson et de Kernan, ont fait ressortir les particularités évolutives de ces tumeurs.
On a systématiquement traité toutes les tumeurs par électrocoagalation endobronchique, d'abord avec un matériel peu approprié, três amélioré depuis quelques années. Malgré ces améliorations techniques, la destruction endobronchique par électrocoagulation est une technique difficile en raison du caractère souvent três hémorragique de ces tumeurs, de leurs dïmensions souvent considérables: leur implantation est quelquefois à plusieurs centimètres au-delà de leur pôle supérieur, seul visible par endoscopie ét presque toujours seul repérable par les différentes techniques radiologiques; le nombre des séances d'électrocoagulation peut étre três important et s'échelonner sur des mois et même plusieurs années, surtout que des raisons techniques nécessitent toujours un intervalle de deux semaines entre les séances.
RESULTATS : Malgré toutes ces difficultés, on a pu à ce jour guérir complètement 20 malades qui ne présentent aucun troublé respiratoire (sauf un seul) et ceei malgré la constance apparente de bronchectasie dans le territoire bronchopulmonaire correspondant à la localisation bronchique de la tumeur. 18 de ces malades, malgré un recul allant de 2 a 8 uns pour le plus ancien, n'ont aucun signe de bronchorrée ni de suppuration, une malade, opérée par résection des segments dilatés et suppurés et actuellement en excellent état; un dernier présente une suppuration bronchectasique manifeste pour laquelle nous n'avons pus encore pu le décider à une exérèse chirurgicale.
3 malades ont été guéris par exérèse chirurgicale récente.
14 malades sont actuellement en cours de traitement endobronchique et améliorés.
Pour 5 malades, malgré l'association à l'électro-coagulation de la radiothérapie en raison de la situation distale de l'implantation de la tumeur ou de signes évidents de compression extrinsèque, l'intervention chirurgicale est envisagée et sera prochainement réalisée.
Une malade vivant dans de mauvaises conditions a contracté une tuberculose pulmonaire bi-latérale et est actuellement en sanatorium après une amélioration endoscopique três importante.
La malade qui présentait l'aspect infiltrant les parois trachéales et bronchiques, a été três soulagée, et endoscopiquement três améliorée, par des séries de radiothérapie mais a succombé par suffocation il y a deux mois.
3 malades n'ont subi aucune thérapeutique et sont actuellement vivants.
5 malades sont décédés dans les circonstances suivantes: 3 de lévolution spontanée et suppurée de la maladee, faute d'avoir pu traiter les malades en temps voulu (c'était pendant l'occupation); deux malades sont décédés au cours de l'exérere chirurgicale.
Les aspects cliniques évolutifs de ces tumeurs et leurs caractères histologiques paraissent bien les distinguer des cancers bronchiques habituels. Ce sont cependant des épithéliomas qui ont cette propriété d'évoluer lentement sur place, de ne pas subir de transformation maligne, et en particulier de ne pas provoquer de métastase pour les 52 cas dont il s'agit ici.
C'est pour cela qu'il semble qu'on pourrait les qualifier d'épithéliomas bronchiques cliniquement bénins, hésitant à proposer un mot aux caractères euphoniques discutables et qui serait "épithéliomoide", dont l'intérêt serait de rappeler la nature épithéliomateuse de ces tumeurs.
(*) Trabalho apresentado numa das reuniões do II Congresso Latino-Americano de O.R.L. realizado em São Paulo, de 8-14 de julho de 1951
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